jeudi 19 juillet 2018

Lucky Dog : mon animal de compagnie ...


Un fan de jazz reste un éternel frustré. Son incessante quête de l’album culte l’entraine le plus souvent vers la déception dont il ne ressort rarement indemne.  Alors, il remet sur sa platine ses galettes de jeunesse et enrage contre les critiques trop intellos et corrompus par les labels. 

J’ai vécu cette époque avant le temps d’une écoute plus savante et la découverte de ces « seconds couteaux », si doués, qu’ils nous accompagnent toute notre vie de mélomane.

Ainsi, je ne croyais plus entendre de suite aux musiciens des années 70 qui, risquant tout, ont donné au free ses règles, sa liberté conditionnelle et de nouveaux standards au jazz. 

Et c’est à l’occasion d’un superbe concert du Philippe Soirat quartet que j’ai pu croiser le son et le talent de Yoni Zelnik. Sympathisant autour d’un verre, il me parla de Lucky Dog. En fait, ce nom étrange pour une formation de jazz masque des membres déjà connus et un répertoire original; à leur actif, deux albums et de nombreux concerts.

copyright Patrick Martineau

Leur récent live capté sur la scène du mythique Jacques Pelzer Club fut pour moi un retour sur le passé et surtout la découverte d’une musique où cohésion et liberté se conjuguent sans facilité. Autour d’une écriture personnelle et de subtils arrangements, des thèmes simples servent de cadre au récit de chacun. Le groupe réagit à toute sollicitation avec élégance. Car on peut parler d’élégance malgré l’incontournable référence à Old and New Dreams de 1976 des Dewey Redman, Don Cherry, Charlie Haden et Ed Blackwell qui n’inspire pas forcément un tel qualificatif.

Abandonnez pour un temps vos préférences en jazz. Je vous convie à cette aventure. Sans céder aux distractions extérieures, plongez vous dans ce « Live at the Jacques Pelzer club » qui est un bel édifice au cœur du jazz actuel. Une belle association qui marque le début d’une histoire en attendant le temps de ces fameuses légendes ! 

copyright Patrick Martineau

Membres de Lucky Dog
Frédéric Borey  (ténor et soprano)
Yoann Loustalot  (trompette et flugelhorn)
Yoni Zelnik  (double bass)
Frédéric Pasqua  (drums)

PS : les compositions sont signées de Frédéric Borey et Yoann Loustalot. Un grand bravo également à Jordi Pujol qui a su produire les deux opus chez New Talent.

lundi 13 mars 2017

Philippe Soirat et sa petite anthologie du jazz moderne


Si Philippe Soirat a sa place dans ma discothèque, celle-ci reste discrète. Sideman des plus grands comme le regretté Barney Wilen, le pianiste Barry Harris ou le vétéran Lee Konitz, aujourd'hui, il entre dans la lumière avec ce premier album sous son nom.




Pour cet enregistrement, Philippe Soirat revisite un répertoire de premier choix. Son quartet impressionne par sa justesse dans l'évocation de ces pépites du jazz moderne. Les plus  belles signatures sont au rendez vous et, avec elles, le génie des compositeurs les plus marquants de ces dernières décennies.

1965, souvenez vous du Maiden Voyage d'un jeune pianiste nommé Herbie Hancock. Ce dernier va bientôt écrire la bande originale d'une Palme d'Or à Cannes avec Blow Up d'Antonioni. C'est la consécration de ce grand musicien. Ici, on ouvre le bal avec le magnifique Eye Of The Hurricance. L'interprétation donne le ton du disque : puissance et retenue.
Rien ne manque au menu du groupe. Il produit un jazz riche en maturité où l'émotion, l'énergie et une virtuosité maîtrisée ne cessent de nous surprendre. Chez Soirat : on doit répéter sans brider la spontanéité.

Tout au long des plages, on retrouve Wayne Shorter et le beau Valse Triste. On s'incline devant le Monk "Underground" d' Ugly Beauty. Même Gillespie rejoint le lot avec Woody'n You. Aucune faute de goût, aucun racolage ...


Concert de Radio France

David Prez, au ténor, rappelle autant George Coleman que le sous estimé Joe Henderson (Black Narcissus). Vincent Bourgeyx reste lui-même dans tous les registres abordés. Yoni Zelnik, à la contrebasse, brille d'un son rond et soutenu. Enfin, notre leader développe ses idées sans dominer, évitant ainsi de faire du simili Tony Williams ou du Ben Riley de seconde main. Il a travaillé soigneusement le son, la frappe et les solos sont efficaces.

Il faut souhaiter que cette union ne soit pas celle d'un jour et que ces hommes poursuivent la tradition en plaçant ce répertoire à la hauteur des grands standards de cet art majeur que reste le Jazz.




mardi 22 septembre 2015

Pierre Christophe met le cap sur Valparaiso


Pour chacun d'entre nous, le port est synonyme de voyage. Il possède ce parfum d'aventure dont le cœur à besoin. Certes, c'est un cliché ; mais rien ne donne plus envie de partir que la vue de ces voiliers, un jour de grand soleil …


Le nom de Valparaiso résonne dans notre imaginaire comme un bout du monde, un lieu mythique. Cela explique peut-être que Pablo Neruda y écrivit ses plus belles pages; inspiré par l'empilage de ses maisons colorées dominant la mer. Aujourd'hui, cet endroit magique constitue l’escale musicale de Pierre Christophe pour son nouvel opus et c'est un joli choix.

Déjà, l'illustration de la jaquette révèle un talent caché celui du bassiste, Raphaël Dever, qui réalise ici une miniature de la ville. Dommage qu’il ne s'agisse pas d'un bon vieux vinyle, cela aurait permis d’apprécier davantage ce coloriste dont la patte n’est pas sans rappeler celle d'un Chagall.




Ici, la musique est somptueuse, dansante et profonde. Pierre livre son âme de poète et démontre, une fois encore, sa capacité à varier le climat de ses compositions tout en confirmant son sens de l'exigence.

Après l'hommage à Jaki Byard, sorte de référence, et le beau Frozen Tears paru en 2010, il s’affirme comme l’un des compositeurs dont le jazz français devrait se flatter.

Il y a parfois du Nino Rota dans ses notes autant que du Bill Evans dans ses solos. On pense aussi au regretté Brubeck de la grande époque. Mais, c'est d'abord du Pierre Christophe.

Je vous laisse donc savourer "Relaxin’ At Battery Park", "Isla Negra" ou "Renaissance", nouveaux standards du pianiste.

Citons les hommes qui servent le projet et s’expriment dans le  disque: Olivier Zanot à l’alto, Raphaël Dever à la basse et l’incontournable Mourad Benhammou à la batterie.

Merci Pierre pour ce nouveau chapitre en te souhaitant de visiter d'autres lieux avec autant d'intelligence.

samedi 18 janvier 2014

Jim Hall, l'inépuisable inventeur

Ce blog vit au rythme de mes émotions d'où son caractère trop souvent nécrologique ! Je m'engage à me ressaisir dans mes prochaines communications. Pourtant, le départ de Jim Hall a quelque chose de profondément douloureux pour le monde de la musique. 

Illustration de la pochette de l'album en trio "Circles" (Mars 1981)

L'absence d'un musicien de la carrure de Jim Hall ne peut qu'inciter à la tristesse malgré le plaisir ressenti sur nos platines par tant de richesse et d'inventions. Compositeur, arrangeur, sideman incontournable de tant de courants, il restera le maître incontesté de tous les guitaristes de jazz soucieux d'avancer vers la perfection.

Birdland, le 10 novembre 2010
Enregistrement en quartet paru sur ArtistShare

La biographie de Jim Hall démontre son éclectisme et l'étendue de ses recherches comme celles de ses collaborations. Hélas, sa modestie, tout comme sa discrétion, l'empêchèrent d'occuper la place qu'il mérite depuis tant d'années. Il l'a surement voulu ainsi et c'est bien dès lors que la chance nous permet de croiser sa route.
Né à Buffalo dans l'état de New York en décembre 1930, il débute en orchestre à l'âge de treize ans ! En 1955, il entre chez Chico Hamilton puis travaille avec Jimmy Giuffre fin 56. Au début des années 60, il entame sa participation au troisième courant avec John Lewis qui l'hébergera à New York. 1962 marque son entrée dans le groupe de Sonny Rollins dont il soutiendra le discours dans des albums aussi légendaires que novateurs comme "The Bridge" ou "What's New ?"
Par la suite, on l'entendra aux côtés de Bill Evans, d'Art Farmer et de Paul Desmond. Sans exhibitionnisme, ni virtuosité injustifiée, il marquera tous les styles d'un son aussi personnel que visionnaire.  


ArtistShare vol. 2-4 (Live ! Toronto Juin 75)
Ces dernières années, Jim Hall avait fait le choix de se publier chez ArtistShare via le Net. Il composait abondamment. Sa dernière parution marquante est à la fois historique et passionnante puisqu'il s'agit de 3 volumes complétant l'un de ses albums de référence "Jim Hall Live !" paru en 1975 et enregistré au Bourbon Street de Toronto, club dans lequel son trio s'était produit durant toute une semaine.

A présent, il ne nous reste qu'à apprécier ses nombreux enregistrements en souhaitant que les connaisseurs le fassent découvrir aux prochaines générations.

samedi 7 janvier 2012

Tous les morts ne s’ennuient pas ...

Tous les morts ne s’ennuient pas. Certains se relaxent dans des lieux que leur simple présence rend prestigieux. C’est le cas du petit cimetière Saint Vincent de Montmartre et de ses locataires perpétuels. Certains sont même pressés de faire partie de cette communauté comme le sympathique Michel Catti, plus connu sous le nom de Michou, qui a déjà fait bâtir sa dernière résidence alors qu’il reste parmi nous.



En attendant, si vous passez dans le quartier, prenez le temps de rendre visite à ces hôtes de marque. Vous rencontrerez  Marcel Aymé, Harry Baur, le peintre Utrillo, le cinéaste Marcel Carné, Gabriello et sa fille Suzanne, et bien d’autres.

Arthur Honegger (1892-1955)

Ici, les inconnus ne sont que des oubliés comme Alain Romans, pianiste de jazz, qui composa des musiques de films pour  Jacques Tati ou Pierre Bussoz, l’inventeur du Bussophone, l’ancêtre du fameux Jukebox.

En admirant la sépulture de ces personnages historiques, vous apprécierez plus facilement l’idée d'un trépas; seule issue possible à notre humble existence. Vivre un instant dans cet endroit, est un compliment fait à l’éternité que La célébrité offre à ceux qui l’ont connue. Toujours est-il qu’à l’époque où le choix de nos congénères se résume à finir à 1200 degrés puis dans un vase de chez E.Leclerc, il est rassurant que des êtres de talent nous laissent une trace élégante de leur passage dans un endroit aussi charmant.

samedi 17 décembre 2011

Un soir au club avec Motian

Le 22 novembre dernier, à l’âge de 80 ans, Paul Motian a quitté la scène. A l’évidence, seule la mort pouvait lui faire poser sa paire de balais. Il ne voulait plus voyager mais tenait régulièrement sa place au Vanguard de New York.

 Un an plus tôt, presque jour pour jour, j’étais dans ce club. C’était le 13 novembre et le Paul Motian Septet s’y produisait pour une semaine. La journée avait été froide et ensoleillée. J’avais fait quelques achats de vinyles chez Fred Cohen au Jazz Record Center et, vers 23h00, nous sommes allés au Village Vanguard. Autour d’une bière, en petit comité (20 personnes en salle, peut-être moins), nous avons partagé deux sets de grande classe. Jacob Sacks tenait le piano, Chris Cheek et Bill McHenry assuraient les parties de cuivre, accompagnés d’un guitariste dont le nom m’échappe, mais pas l’originalité que j'ai encore dans l'oreille. Le reste du groupe se composait d’un alto, d’un trombone et d’une basse électrique aux mains du seul homme de couleur de la formation, un grand type aux allures de bluesman.


Le répertoire s’inspirait du « Garden of Eden », disque symbole du style Motian de ces dernières années. A la fois hors-piste mais tout en maîtrise, le groupe a produit, pendant près de deux heures, une musique aux contours souples et riches ; Paul Motian sillonnant les pistes ouvertes par ces jeunes loups avec sagesse et audace. Ce fut un grand moment de jazz contemporain. Une ouverture vers d’autres formes d’arrangement et d’interprétation; une musique fluide et colorée.


J’ai conservé de cette soirée un goût particulier, celui d’un concert tout en retenue n’usant jamais les idées exposées. Sans clichés, les interventions étaient courtes et toujours justifiées. Le Motian de cette session ne ressemblait plus à celui qui accompagna dans ce même lieu Bill Evans et Scott LaFaro, quelques cinquante ans auparavant. Mais ce Motian avait toujours des choses à dire, tel un patriarche au milieu d’un parterre de jeunes athlètes. Merci Paul pour cette belle carrière qui restera à jamais dans nos oreilles.

André Hodeir : un homme à ne pas oublier



André Hodeir est un personnage surprenant. Il cumule tous les talents. Musicien (violoniste sous le nom de Claude Laurence), compositeur, romancier et essayiste, il a le profil du véritable intellectuel mais aussi celui d'un poète touchant.

Ses écrits, le plus souvent sérieux, restent plein d'humour. Avec Hodeir, il y a tout ce qu’il faut pour passer de beaux moments sans perdre l'occasion d’apprendre et de réfléchir sur les vrais sujets. A titre d'exemple, je recommande le travail du sextet de Kenny Clarke qui rivalise, voire davantage, avec le fameux Birth of the Cool dont nous sommes tous passionnés. Son écriture alliant polyphonie et swing sera longtemps incontournable pour toute personne soucieuse de comprendre le Jazz.


Il reste à souhaiter que l’œuvre de Hodeir ne tombe pas dans l'oubli. Il faut que cet homme continue de vivre de l'autre côté de la montagne.